Curiosité.

Elle vit s'écraser à ses pieds une toute petite chauve-souris, qui venait manifestement de tomber du plafond en faisant craquer une stalactite ; c'était ça, le bruit qu'avait entendu la Déesse. La petite créature avait une aile complètement tordue et gémissait faiblement.

- De l'aide... S'il vous plaît...

Dans son esprit tournoyait un capharnaüm de pensées, un cauchemar aux milles couleurs qui s'emparait lentement d'elle. Elle était terrorisée par ce qu'elle avait vu, ne voulait pas en parler, ne plus y penser.
Mourir...

Pauvre petite créature, songea la déesse.

D'après les pensées qu'elle avait entendu, le mot "créature" méritait une majuscule. Elle apposa lentement ses mains sur l'aile fragile de la bête. Une lumière dorée jaillit de son corps, soignant immédiatement la blessure. Elle administra par piqûre un soporifique à la bête et attendit son réveil pour s'expliquer avec elle...

Naëma sentit les mains de la Déesse la toucher, puis une douce torpeur commença à l'envahir. Terrorisée, elle commença à se débattre ; elle ne voulait pas qu'on l'emmène, non ! Mais ses paupières se fermait toutes seules, et elle devint brusquement toute molle. Pendant une longue heure, elle dormit d'un sommeil profond et sans rêves.

Elle fut réveillée par le " ploc-ploc " des gouttes sur la roche. Elle entrouvrit un oeil, puis l'autre, et bâilla bruyamment. Se sentant incommodée dans cette forme qu'elle jugeait trop petite, elle prit sa forme favorite d'une belle panthère aux larges taches noires sur un poil fauve.
Elle entendit brusquement une voix près d'elle et se retourna, inquiète. Mais ce n'était qu'une jeune Salaÿ.

Une jeune Salaÿ, vraiment ?

Naëma connaissait ces yeux. Folle de joie, elle s'écria :

- Damiya !

- Oui, C'est mon nom, aux dernières nouvelles.

Répondit la déesse, le pli de l'ironie barrant ses joues. Mais cette apparence de façade dissimulait mal l'inquiétude et la curiosité qui l'avaient étreinte aux pensées de Naëma. Réprimant l'envie de lui demender tout de go ce qui lui était arrivée, elle cacha ses sentiments en tendant une tasse de verveine qu'elle venait de faire apparaitre sous les yeux de la Créature. Cela lui faisait du bien de pouvoir se servir de ses talents sans se sentir menacée.

Intriguée, Naëma renifla le breuvage. Elle avait pour l'instant chassé de ses pensées ce qu'elle avait vécu avant d'arriver ici, et elle ne tenait pas vraiment à s'en rappeler...

- C'est quoi ? s'enquit-elle. Ce 'nest pas que je n'ai pas confiance en toi, s'empressa-t-elle d'ajouter, mais j'aimerais juste savoir.

Elle sourit timidement à la Déesse. Elle se doutait bien que celle-ci voudrait savoir ce qui lui était arrivé, mais elle ne voulait pas en parler ; pas tout de suite, en tout cas.

- C'est de la verveine, tu dois te sentir pâteuse, après le sopo, non ?

La déesse fourra d'autorité la chope entre les pattes de la Guérisseuse et sortit deux nattes et quelques coussins d'une anfractuosité de la paroi. Elle les arrangea confortablement et attrapa un pot de Nuttella. Les tartines suivirent. Elles furent bientôt recouvertes d'une couche de Nuttella de plus de trois centimètres. Damiya mordit dans l'une avec gourmandise et passa l'autre à Naëma.

[T'as fait une faute à Nutella ! Impardonnable ! ]

Naëma regarda avec de grands yeux ronds la tartine que lui donnait Damiya.
Du Nutella ! Ô merveille !
Revigorée par la verveine, elle prit une forme plus pratique d'humaine - une jeune fille de seize ans environ, avec de longs cheveux bruns et des yeux d'un vert très clair - et mordit d'un bon coup dans sa tartine, créant d'énormes moustaches au-dessus de sa bouche [c'est ma spécialité].

Damiya s'installa plus confortablement sur les coussins et prépara une autre tartine à l'intention de Naëma sans dire un mot sur ses moustaches. Voyant que la Guérisseuse ne parlerai pas la première, elle se décida à entamer la conversation. Elle parla d'une voix douce, grave et très légèrement rauque.

- Et qu'est-ce qui t'amène içi ?

Avant de répondre, Naëma essuya rapidement ses moustaches avec une serviette passant à sa portée. Elle attendait la question de Damiya... et celle-ci ne tarda pas à venir.

- Bon, en fait, j'avais envie de venir explorer les grottes... Un peu toute seule. Je suis venue par en-dessous, par la mer je veux dire, et ensuite, comme c'est plus pratique, j'ai pris la forme d'une chauve-souris. Et après...

Après... Elle ne voulait pas le dire.

[Pour être franche, je ne sais absolument pas ce qui s'est passé dans les grottes... ]

Un peu perdue dans le torrent de paroles de la Déesse [disons que tu peux être bavarde quand tu t'y mets ], Naëma secoua la tête et répondit en fronçant les sourcils :

- Je ne comprends pas. De quel anonymat parles-tu ?

Damiya s'arrêta net, interloquée. Puis voyant que Naëma ne plaisantait pas, elle se retransforma en moulin à paroles :

- De quel anonymat ? Mais simplement de pouvoir se faire passer pour un mortel comme les autres ! C'est tellement difficile, de nos jours ! Ah, l'Âge d'Or, c'était autre chose ! Personne ne vous demandait rien, du moment que vous aviez l'argent pour payer... Mais maintenant, avec la guerre qui couve...

Elle s'interrompit.

- Désolée, Naëma, ça ne doit pas beaucoup t'intéresser, ce que je raconte...

- Au contraire !

Naëma avait levé les yeux evrs son interlocutrice, les sourcils froncés. Un mot avait capté son attention.

- La guerre qui couve, tu dis ? Quelle guerre ?

- Je te raconterais tout plus tard. Pour l'instant, j'ai quelque chose à faire qui ne peut pas attendre. Je suis désolée, je reviens vite.

Sans attendre de réaction de la part de Naëma, Damiya s'engouffra dans la fissure de laquelle la Guérisseuse l'avait vue sortir tout à l'heure. Quelques instants plus tard, Damiya était de retour, l'air songeuse...