L'antre d'une Guérisseuse

- Délicieux ! assura Shânylla alors que son amie versait la poudre dans l'eau chaude.

Elle se saisit d'une tasse encore vide et regarda d'un air absent les délicats motifs gravés sur la porcelaine.

- Je suis désolée, finit-elle par dire en posant le récipient devant elle. Je n'aurai pas dû te faire manger cette herbe... Mais j'étais persuadée qu'il s'agissait de lupin !

- Ben, justement, répondit Naëma en tendant à son amie une tasse brûlante d'où s'échappait un arôme parfumé. C'en était !

Elle commença à boire à petites gorgées, le liquide étant vraiment très chaud. Le thé coulant dans sa gorge lui fit du bien et c'est avec une voix un peu plus claire qu'elle reprit :

- En tout cas, ça avait la même tête et la même odeur. Juste un goût différent. C'est bizarre.

Elle s'interrompit le temps de souffler sur son thé pour en chasser les vapeurs brûlantes.

- Il y a toujours eu du lupin là-haut, et du lupin délicieux. Parfaitement comme il faut ! Je ne comprends pas pourquoi celui-ci était empoisonné. Non, je ne comprends pas.

[eh, je sais ! Ce lupin était comme ça parce que quelque chose était enterré dessous : le métal magique ! On le trouve comme ça, ok ?]

Les paroles de son amie laissèrent Shânylla songeuse. Tout en buvant quelque gorgées du chaud breuvage, elle réfléchit...

- C'est un mystère, mais les mystères sont faits pour être élucidés ! Le mieux serait, bien sûr, de retourner là-bas... Mais en attendant, plusieurs hypothèses sont possibles.

[Je croyais que tu voulais pas ? On remplace l'animal par le métal, alors, et on écrit l'article ensemble. ]

- Y retourner ?

Naëma trouvait l'idée plutôt tentante. Après tout, pourquoi pas ? Par contre...

- Cette fois, on va emporter des antidotes, d'accord ? Je n'ai aucune envie de mourir une deuxième fois, ce serait ballot.

Avec un sourire, elle tendit à Shânylla un sac contenant plusieurs fioles remplies toutes du même liquide jaune pâle s'entrechoquant en de bruyants tintements. [Ouaiiis ! J'fais de la poésie ! ] Elle savait cette antidote particulièrement efficace puisqu'elle l'avait concotée elle-même au cours d'un après-midi pluvieux, mélangeant au hasard plusieurs ingrédients et l'essayant ensuite sur sa propre personne. L'effet n'avait pas tardé : les petites blessures qu'elles gardait de certaines mésaventures avaient toutes disparues, même les boutons de moustiques étaient partis et elle ne s'était jamais sentie aussi bien qu'après avoir goûté à cette potion dont elle avait soigneusement noté la recette. Elle la soupçonnait aussi de pouvoir agir comme un euphorisant, mais ce n'était pas ça qui l'intéressait pour le moment.

[On y retourne, alors ? Mais on ouvre un autre sujet.]

[attends, pas tout de suite...]

Se saisissant du sac d'antidotes, Shânylla jeta un dernier regard à la jolie boutique et sortit... Mais soudain, elle s'arrêta net. Alors qu'elle transportait Naëma, l'amitié lui avait donné des ailes et elle n'avait rien remarqué. Mais maintenant... Elle était quand même dans la cité des créatures ! Hésitante, elle se tourna vers Naëma.

Naëma s'apprêtait à suivre son amie quand cette dernière s'arrêta net et se retourna vers elle. La jeune Créature fronça les sourcils ; qu'est-ce qui se passait ? Elle huma l'air : rien. Pas d'ennemis embusqués ni de piège retors sous leurs pieds.
Alors ?

Elle s'approcha doucement de son amie et demanda :

- Qu'est-ce qu'il y a, Shâny ? Tu es inquiète ?

Si c'était le cas, elle ne comprenait pas pourquoi. Shânylla n'avait pas à craindre les autres Créatures, pour la bonne raison qu'il n'y en avait pas d'autres ; elles étaient seules, et si elle était inquiète c'était peut-être parce qu'elle n'avait plus confiance en Naëma.
Idée qui glaça le sang de cette dernière.

- Oui, énormément... Je suis en territoire ennemi, tu comprends ? On va devoir traverser des terres et j'ai peur... On dit tant de choses sur vous... Je sais que ça ne te concerne pas toi, mais il y a bien des rumeurs qui sont fondées et qui disent la vérité sur tes compatriotes !

Shânylla fit une petite pause et regarda son amie. Elle caressa le pelage de cette dernière, qui était toujours un chat, puis enchaîna :

- Tu ne sais pas ce que ça fait d'avoir peur d'être pincé par des créatures cruelles toi, tu changes de forme à volonté et personne ne le remarque ! Mais moi, j'ai peur.

Naëma se sentit un peu énervée par les paroles de son amie mais garda un air impassible.

- Ecoute, Shânylla, tu n'as pas compris ? Je suis la seule Créature de ce monde ! Les autres ne se montrent plus ou ont disparues. Cette cité est vide, je suis la seule habitante de cette endroit ! Tu n'as jamais entendu parler de la ville des Créatures ? Cité Morte par-ci, Cité Morte par là... Non, franchement, tu n'as aucune raison d'avoir peur, sauf si tu crains que je me transformes en monstre sanguinaire.

Shânylla rougit, réalisant le poids que ses paroles avaient eues sur son amie.

Je suis vraiment bête ! Je lui rappelle toujours qu'elle est une créature... Elle va croire que je ne lui fais pas confiance !

- Je ne voulais pas dire ça, Naëma, je te le jure ! Mais je ne savais pas... Comment veux-tu que je le saches alors que les oiseaux qui chantent et les lapins qui courent pourraient être des Créatures ? Je n'ai pas ton flair et ta connaissance sur ce peuple, après tout, ce n'est pas le mien. Alors je ne peux pas deviner... Je suis désolée mais je crois que tu as mal compris ce que je disais et que tu t'es imaginée des choses... Je te fais confiance, Naëma. Mais je ne fais pas confiance aux autres... Même si il n'y en a pas, je me sens intruse sur ces terres, mon ignorance m'a fait imaginé des choses... Ce serait pareil chez les Salaÿ, pourtant pacifiques, tu peux me croire ! Tu dois me croire...

Naëma ferma les yeux sous le déluge de paroles et sourit, les paupières toujours closes.

- Stop, murmura-t-elle. Stop, stop, stop. Tu as raison, tu ne connais pas les Créatures, tu ne peux donc pas savoir ce qui en est et ce qui n'en est pas. Et pourtant, il y a plusieurs façons de reconnaître les Créatures. Regarde.

Elle lui désigna un écureuil qui les observait d'un air curieux depuis le haut d'un arbre.

- Est-ce qu'il est une Créature ?

Shânylla se tourna vers l'écureuil. Ce dernier avait un pelage roux qui brillait dans la lumière d'automne et une queue touffue. Il tenait une petite noisette entre ses pattes et penchait la tête sur le côté.

- Je suppose que non, puisque la cité est déserte... Mais je ne sais pas pourquoi.